A l'image
de la démocratisation du cinéma, les jeux vidéo vivent aujourd'hui
leur rencontre avec le grand public (Le boom de la Playstation et du PC ont fait
exploser les ventes de jeux vidéo chez les 25-35 ans, tranche inexploitée
jusqu'ici). De la même façon, les interrogations, l'incompréhension
et les barrières de la censure (de l'ignorance...). s'élèvent
face à ce nouveau média qui inquiète. Lorsque nous jouions
à 'Space Invaders', un carré tirait des rectangles qui détruisaient
dans une gerbe d'étincelle en deux couleurs les méchant triangles...
Aujourd'hui, la technologie aidant, le vaisseau virtuel ressemble trait pour trait
à un vaisseau, et la mort du méchant paraît bien plus réel
aux yeux du père et de la mère qui tout d'un coup s'offusquent,
prennent peur. Ceci pour souligner combien la forme est finalement bien plus forte
que le fond... et comment les biens-pensants réagissent différemment
à deux jeux semblables dans le fond (exterminer les méchants) mais
différents dans leur forme (polygones contre 2D en 4 couleurs).
Ce débat assez surréaliste sur les jeux vidéo comme destructeurs
de l'intellect de nos chères têtes blondes tend à être
remplacé aujourd'hui par un deuxième débat beaucoup plus
pertinent (même si souvent détourné), celui de la perception
de la réalité. Aujourd'hui, avec l'explosion de jeux en ligne et
des cybercafés, véritable lieu de rencontre de cyber-communautés,
on assiste à la naissance d'une frange de la société qui
passe plus de temps devant son ordinateur ou sa console que dans le monde réel.
Cette nouvelle génération ne confond pas monde virtuel et monde
réel (comme voudraient nous le faire croire les médias), mais préfère
le monde virtuel au monde réel. C'est la base du récit de 'Avalon',
le dernier film de Mamoru Oshii. Pour les uns, Mamoru Oshii est un maître
du sommeil, un marchand de sable dont tous les films font office de meilleur somnifère
au monde, les autres (et j'en fais partie) pensent tout simplement que Oshii est
l'un des génies de cette décennie tant le fond et la forme de ses
films tendent à se confondre pour finalement donner du sens. En quelques
années, Oshii a révolutionné l'animation japonaise, transformant
des 'anime' commerciaux en chefs d'uvre de contemplation et de questionnement
métaphysique (la série des 'Patlabor' et surtout 'Ghost in the Shell').
Révolutionnaire dans l'âme, Oshii n'est jamais rentré dans
le moule de l'animation japonaise et avant d'être le réalisateur
que nous commençons à connaître, il traversa une période
noire où il fut boudé du grand public (c'est d'ailleurs lors d'un
chômage technique de 3 années qu'il plongea dans le jeu vidéo
et posa pour la première fois les bases d'Avalon). A l'inverse de la profession
qui transcende la narration par le dynamisme des plans et du montage, Oshii narre
le récit par l'intermédiaire de plans extrêmement longs et
de plans fixes proches de planches photographiques (depuis, Hideaki Anno et son
'Evangelion', ont démocratisé ce type de narration dans l'animation
japonaise). Les films de Mamoru Oshii sont peu explicites et marqués par
l'absence de dialogues explicatifs, les personnages échangeant des paroles
uniquement dans le but d'assurer la compréhension du récit pour
le spectateur lambda. Le fond du récit est distillé au travers de
séquences contemplatives qui requièrent toute notre attention et
surtout plusieurs visions avant d'en délivrer tout le sens... Ash ne
vit que par et pour le jeu "Avalon" (du nom de l'île de légende
où le roi Arthur fut ramené à la vie par la fée Morgane)
Anciennement "guerrière" dans le clan des "Wizards",
celle-ci fait désormais cavalier seul après un incident de partie
qui a fait se séparer les membres du clan. Arrivée en Classe A (pas
en Mercedes... mais dans un niveau du jeu), Ash apprend la rumeur de l'existence
d'un niveau caché, la classe "Special A" d'où l'on ne
peut revenir, l'âme restant retenue dans le jeu, le corps croupissant dans
un état végétatif. Elle apprend également que son
ancien partenaire, Murphy est prisonnier de cette Classe Special A, Ash va alors
tout faire pour le retrouver. Derrière cette intrigue simple et linéaire,
Oshii tisse la toile du premier film pour nerds : A l'inverse d'un film comme
'Matrix' qui intègre l'univers du jeu vidéo, ses caractéristiques
et ses règles pour l'utiliser comme toile de fond d'un récit grand
public (mais 'Matrix' est avant tout un film d'action, ne l'oublions pas), Oshii
intègre le point de vue du "hardcore gamer" pour dépeindre
sans concession cette nouvelle génération qui cherche le bonheur
dans l'oubli de la réalité, en y perdant non pas son âme...
mais son corps. Comme pour 'Ghost in the Shell', dont 'Avalon' se rapproche
énormément, le récit du dernier Mamoru Oshii conte la quête
d'une vérité, la quête d'un paradis perdu (celui de la réunion
entre réalité et virtualité ?). A l'image de l'interrogation
qui hante le major Kusanagi dans "Ghost in the Shell" (l'âme peut-elle
exister sans un corps pour l'accueillir), Ash (version live du major Kusanagi)
est une femme solitaire en quête d'une vérité métaphysique
(peut-on vivre dans un monde virtuel et être considéré comme
"être vivant"?), ces deux interrogations reposant finalement sur
les même bases. Obsédé
par la perfection graphique et photographique, Mamoru Oshii nous livre un film
à la dimension visuelle unique. Prises de vues traditionnelles, animation
et images de synthèse se marient comme nous ne l'avons jamais vu pour aboutir
à la vision d'un 'ailleurs' étourdissant, chaque plan composant
une oeuvre d'art à part entière (le plan de Bishop posant dans un
décor post apocalyptique restera à jamais gravé dans vos
mémoires) L'adéquation entre le fond et la forme prend ici toute
sa dimension, car Oshii altère le monde réel (prise de vues) en
le fusionnant avec un monde virtuel (animation et images de synthèse) pour
mieux égarer le spectateur et son personnage principal qui ne sait plus
bien à quel monde il appartient. L'égarement, c'est également
ce qu'à du ressentir Mamoru Oshii en décidant de tourner son film
dans une contrée éloignée (la Pologne) avec une équipe
japonaise réduite au strict minimum, dans une langue étrangère
qui confère au film un statut irréel et unique (à ce propos,
la VF est une abomination) En quelques plans, Oshii abolit toutes les frontières,
qu'elles soient géographiques en réalisant un métrage à
la fois américain, européen et japonais... ou visuelles en mêlant
toutes les techniques d'animation et d'altération d'une image. Tout au
long de son film, Mamoru Oshii pose progressivement les bases d'une réflexion
sur le devenir de l'être humain face aux nouvelles technologies et aux nouvelles
possibilités qui s'offrent à lui. Véritable fable "cyber-métaphysique"
(je me prend pour Maurice Dantec), prolongement du 'Blade Runner' de Ridley Scott
(et donc de 'Ghost in the Shell'), 'Avalon' constitue un sommet dans le cinéma
d'anticipation. A ce propos, le dernier quart d'heure du métrage asséne
au spectateur un retournement de situation 'visuel' qui l'achève définitivement
et lui donne envie de crier au génie lorsqu'il refait surface. A tout cela
s'ajoute l'incroyable composition de Kenji Kawai (voir notre encart plus bas)
où chaque morceau est le reflet d'une séquence particulière,
musique et images ne font plus qu'un et décuplent la puissance narrative
du métrage. Pour finir, comme dans ses derniers films, Oshii se garde bien
de donner un avis définitif et la fin peu explicite du film laisse, au
choix, le spectateur sur sa faim ou avide de développer sa propre réflexion
sur le sujet. 'Avalon', Un film traumatisant tout simplement. "Quand
j'étais enfant, mes parents se disputaient régulièrement.
Mon père qui était au chômage allait voir beaucoup de films.
Quant à ma mère, elle fuyait la maison avec mes frères et
surs. Comme nous étions rapidement à cours d'argent, nous
habitions dans les salles obscures. Je me nourrissais alors de bonbons et je m'extasiais
devant les films, en me disant que le cinéma était le refuge des
laissés-pour-compte" Mamoru Oshii |