Dire
que Matrix Reloaded était un film attendu est un doux euphémisme...
Avec Matrix premier du nom, les frères Wachowski ont révolutionné
le cinéma d'action, comme l'avait fait en son temps le "Piège
de cristal" de John Mctiernan... En 2h00 de métrage, les frères
ont mêlé les poses du comics américain, le dynamisme des mangas
et de l'animation japonaise, l'inventivité des combats des films de HK,
un background cyberpunk, une réflexion mystico-religieuse avec une intrigue
K.dickienne pour accoucher dans le bonheur du film culte instantané que
Matrix est devenu... Dans Matrix, le geek, votre copine, le business man, la ménagère
de moins de 50 ans, le fan de Van Damme, tout le monde y trouve son plaisir...
RELOAD ! MATRIX
REVELATIONS (THE RED PILL) BIG SPOILERS ! (Ne pas
lire si pas encore vu...) Knock knock Néo
Matrix Reloaded commence 6 mois après la fin du premier Matrix.
De plus en plus d'hommes et de femmes ont été délivrés
de la matrice et Zion, le dernier bastion de l'humanité, compte maintenant
près de 250 000 habitants. Thaddeus et son équipage, à bord
du vaisseau Osiris, découvrent lors de l'un de leur voyage que les machines
sont en train de s'agiter juste au dessus de Zion. Elles forent d'immenses trous
et atteindront la citée d'ici 72 heures. L'Osiris parvient à
envoyer un message à Zion juste avant d'être anéanti. Le compte
à rebours a commencé. D'un côté, Lock le commandant
des forces de Zion prépare une contre-attaque visant à combiner
les EMP de tous les vaisseaux pour anéantir les machines. De l'autre, Néo
et son équipe tentent de retrouver l'Oracle dans la Matrice afin d'apprendre
la marche à suivre pour concrétiser la prophétie qui dit
que l'Elu mettra fin à la guerre contre les machines... COMPRENDRE
Matrix Reloaded est un film de fou, un film génial qui ne sera pas compris
et apprécié par tous... et surtout pas par ceux qui ne seront pas
attentifs et qui du coup ne percevront pas clairement les principaux enjeux du
scénario. Certains diront "un scénario ? où ça
?". Ce à quoi nous pourrions répondre "dans ton
cul...", mais cela ne fera pas forcément avancer le débat.
Le scénario commence dès le titre du film avec ce "Reloaded"
que beaucoup prendront au pied de la lettre, comme un titre signifiant que les
Wachowski réalise un "upgrade" du premier Matrix avec plus de
moyens. Ils argueront ensuite que le film n'apporte rien au premier, ce qui est
bien entendu totalement faux. Ce titre, "Reloaded", prend véritablement
son sens à la fin du film quand on comprend que le destin de l'humanité
ne fait que se répéter depuis 600 ans et que le rôle de Néo
n'est finalement ni plus ni moins que de réinitialiser la matrice, la "reloader"
dans une version améliorée, débuggée
Un
titre dont le double sens échappera donc à bon nombre de spectateurs
déçus, comme d'ailleurs leur échappera aussi la profondeur
du scénario. CROIRE Le fait est que tout Matrix Reloaded
s'amuse à rendre le premier opus caduc. Dans le premier film, Néo
devient l'Elu grâce à diverses forces extérieures faisant
pression sur lui (Morpheus, l'Oracle, Trinity...) Il est guidé par ces
forces de persuasion et finit par devenir ce que les autres (et la matrice) veulent
qu'il devienne. Mais il n'est qu'un instrument, une partie du programme de la
matrice bien malgré lui. Il se croit libre, mais il est dans une illusion
de liberté. Il n'est pas maître de son destin vu que ce dernier lui
est dicté par cette prophétie, prophétie que n'arrête
pas de rabâcher Morpheus. Le premier Matrix ne cessait de donner raison
à Morpheus et semblait ériger la croyance en modèle de pensée
indispensable à la libération de l'esprit. Dans Matrix
Reloaded, Néo doute de tout ce prêchi-prêcha. Même s'il
est devenu l'équivalent d'un dieu dans la Matrice, il reste sceptique sur
son statut d'Elu. A ce titre la conversation qu'il a avec le Kid est révélatrice
de son désengagement par rapport à Morpheus : Le Kid le remercie
de l'avoir sauvé, Néo lui répond qu'il n'y est pour rien,
que le gamin s'est sauvé lui-même. La rupture entre Morpheus,
le guide spirituel de Zion et Néo, l'élu, est alors symptomatique
des enjeux du scénario de Matrix Reloaded : Rupture entre le père
et le fils, entre Morpheus, croyant et guide spirituel du peuple humain qui participe
bien malgré lui au système qu'il combat et Néo qui sort de
ce système, qui sort du chemin tracé d'avance, emprunté par
les 6 autres élus avant lui !!! Cette rupture est illustrée par
un des derniers propos de Néo qui après avoir rencontré l'architecte
avoue à Morpheus que la prophétie de l'Elu n'est qu'un autre système
de contrôle (vous avez dit religion ???) A ce moment, le rapport Néo
/ Morpheus s'inverse... Morpheus devient Thomas A. Anderson qui dans le premier
Matrix refusait la vérité proclamée par Morpheus sur sa condition
de pile alcaline... Après avoir rencontré l'architecte,
Néo décide alors de s'affranchir de l'emprise de Morpheus, de la
prophétie et décide en fait de ne s'en tenir qu'à ses propres
sentiments, son intuition, sa croyance en lui plutôt qu'en autrui, ce qui
signifie : son amour sincère et droit qu'il éprouve envers Trinity
et la peur de la perdre (ce n'est donc pas innocent si le film s'ouvre sur son
rêve prémonitoire
visionnaire comme le souligne l'Oracle).
Tout Matrix Reloaded est ainsi construit autour de Néo et Trinity et fonctionne
en opposition complémentaire avec le premier épisode dans lequel
Néo, mort, revenait à la vie après avoir été
embrassé par Trinity, dans Reloaded, c'est l'inverse qui se produit. L'amour
fusionnel et sacrificiel comme réponse à l'avenir de l'humanité.
Matrix Reloaded travaille donc la mythologie qu'il a lui-même engendré,
les croyances, leur représentation, leur sens, et surtout ce qu'elles peuvent
cacher. (Ce qui ressort également de tout ça c'est que ce second
film présente donc clairement la religion comme un système de contrôle).
DECRYPTER
La connexion cinéma - jeu vidéo n'a jamais été
aussi évidente que dans un film comme Matrix. Matrix Reloaded pousse son
rapport fusionnel avec le jeu vidéo encore plus loin. L'univers décrit
dans Matrix Reloaded est ainsi scripté comme un jeu vidéo. Les programmes
qui peuplent l'univers de la Matrice sont des pions, des personnages qui doivent
se trouver à un certain endroit à un certain moment pour guider
Néo jusqu'à l'architecte (Perséphone et Seraph). Comme le
souligne Le Mérovingien (personnage qui remporte la palme des répliques
les plus révélatrices du projet global de la trilogie et de ses
principales thématiques), tout est une histoire de cause et d'effet, tous
les choix faits dans l'univers de la Matrice sont binaires : "red pill"
contre "blue pill", porte de droite contre porte de gauche dans la salle
de l'architecte. A cela s'oppose le "choix" humain, source du bug de
la Matrice qui a obligé l'architecte à créer un autre système
de contrôle : le mythe de l'Elu et Zion pour contrôler ces anomalies,
ces humains qui n'acceptent pas le programme, ces humains qui ne rentrent pas
dans le script d'une décision 0 ou 1. Ce "choix" est d'ailleurs
provoqué non pas par la raison, mais par les sentiments passionnels, par
la pulsion de vie ou de mort... élément perturbateur dans un univers
scripté, incontrôlable pour une machine, même pensante... Comment
prévoir l'imprévu, le choix mené par les sentiments humains
et la passion, en opposition à la pensée rationnelle développée
par les machines reposant sur des décisions de cause à effet.
Dans cet univers "crypté en binaire", on pourra se délecter,
tout comme dans le premier opus des signes qui apparaissent dans le film lié
à l'Elu. Dans le premier Matrix, il y avait déjà le nom de
"Néo", anagramme de "One"... Il y avait la chambre
"101" à la fin du métrage, lieu de la mort de Thomas A.
Anderson et de la naissance de "The One"... Ces occurrences apparaissaient
alors comme des "signes" concordants avec les dires quasi religieux
de Morpheus... c'est la création de la prophétie et du mythe de
L'Elu. Avec Matrix Reloaded, tout cet aspect prend une tournure différente
et semble plutôt montrer que l'architecte de la Matrice s'amuse avec le
mythe qu'il a crée volontairement... En effet, l'univers, le chemin parcouru,
la quête initiatique de Néo étant déjà scriptés
d'avance par l'architecte, on retrouve le chiffre "101" à tous
les points de rencontre avec les personnages qui font avancer le script... "101"
apparaît dans le hall d'entrée du restaurant où se trouve
Le Mérovingien, l'autoroute de la poursuite est l'autoroute 101... comme
si le chemin de Néo et de ses compagnons était tracé d'avance...
On pourra d'autant plus se délecter de la rencontre entre Néo
et l'Oracle, dans laquelle celle-ci donne le plus simplement du monde un bonbon
rouge (red pill) à Néo lorsqu'elle lui demande de lui faire confiance
aveuglement, comme l'avait demandé Morpheus au début de Matrix...
Les machines aiment l'ironie, c'est à n'en point douter... et même
plus lorsque l'on met l'un à côté de l'autre les termes :
"The One" et "Zion" pour aboutir à une étrange
filiation sonore
Puisque toute la mythologie de l'Elu, la rébellion
de Zion ont été créées de toute pièce par l'architecte,
on pourrait tout aussi bien penser que les noms associés à ces créations
ne sont pas innocents et sont révélateurs d'une ironie ultime, du
pouvoir total d'un maître sur les hommes, sur ces esclaves...
PROGRESSER Grâce
au choix que fait Néo à la fin de Reloaded, finalement son premier
vrai choix (et non issu d'une relation de cause à effet), il accède
ainsi à un niveau supérieur (comme dans un jeu vidéo, n'oublions
pas que tout Matrix fonctionne avec une logique de jeux vidéo, niveau à
passer, choix binaires, boss..), niveau supérieur qui lui permet désormais
d'exercer un contrôle sur les machines dans le monde réel.
A
moins qu'en fusionnant dans l'agent Smith à la fin du premier Matrix, il
n'ait récupéré une partie du programme de l'agent qui lui
permettrait de posséder ce pouvoir sur les machines (comme Smith a reçu
une part de Néo, on peut imaginer que ça a été donnant-donnant).
La
matrice a ainsi engendré malgré elle deux anomalies fatales: Néo
et Smith, deux anomalies sur lesquelles elle n'a plus aucun contrôle. C'est
pourquoi tout va désormais se jouer entre ces deux nouveaux dieux, une
lutte homérique avec à la clef le contrôle sur l'humanité.
Parce qu'après tout, tout dans Matrix n'est question que de contrôle...
Qui contrôle qui ? Pourquoi ? Comment ?
PHILOSOPHER On
pourra même pousser le vice jusqu'à rapprocher l'évolution
du personnage de Néo dans Matrix Reloaded des trois métamorphoses
développées au début du livre premier "d'Ainsi parlait
Zarathoustra" de Friedrich Nietzsche :
"Comment l'esprit
devient chameau, comment le chameau devient lion, et comment enfin le lion devient
enfant".
-
le chameau est l'animal qui porte le poids des valeurs établies, celles
de l'éducation, de la morale et de la culture
: Néo au début de Matrix, guidé par un père spirituel,
Morpheus qui lui délimite son champ de perception. - arrivé
dans le désert, il se change en un lion qui critique toutes les valeurs
établies, casse les statues, piétine les fardeaux : Néo
qui se désengage des enseignements de Morpheus, qui bouleverse l'ordre
des choses, mais sans forcément comprendre le pourquoi de ses actes. -
ayant ainsi fait le lion se change en un enfant qui, incarnant de nouvelles
valeurs et de nouveaux principes d'évaluation, est une vivante allégorie
du Jeu et de l'éternel commencement du monde : Néo qui découvre
la vérité de la matrice et qui acquiert une nouvelle stature, un
nouveau pouvoir, celui de choisir et non d'être manipulé, le début
d'une nouvelle humanité, d'un nouveau commencement...
RESSENTIR Une
autre thématique importante qui n'était que sous-jacente dans le
premier opus (scène du steak), est celle de la notion de douleur/plaisir
et de l'emprise (le contrôle, donc) que ces sentiments peuvent exercer sur
les êtres vivants (combat de la raison contre les sentiments). Plusieurs
scènes expriment pleinement ces notions, des scènes que certains
jugeront gratuites alors qu'elles ne font qu'amplifier ce qui fait la singularité
de l'homme, comme la scène de la rave party dégénérant
en rave-partouze. Les habitants de Zion ne font qu'exprimer leur humanité
et leur désir (de survie). Plusieurs autres scènes se répondent
ainsi sur le même mode de plaisir / douleur (le baiser dans l'ascenseur
/ le baiser de Perséphone, Bane / Smith qui se lacère la main...)
pour finalement se conclure en apothéose dans le final quand Néo
pour sauver Trinity est obligé de lui faire mal.
EXPLOITER
Cette notion de plaisir est exercée par extension grâce au film et
au plaisir qu'il est censé procurer aux spectateurs. Les Wachowski se sont
surpassés pour nous offrir les scènes d'actions les plus démentes
qu'on ai vu depuis longtemps. Certains diront "C'est trop !!"...
Comment ça "C'est trop" ? Avec la Matrice, les deux frangins
ont imaginé un concept qui permet mille et un délires, ça
aurait été con et frustrant de ne pas y aller franco. Ne vous êtes
vous pas dit à la fin du premier Matrix, "Mon dieu, ils vont pouvoir
tout exploser dans la suite ?" Et c'est exactement ce qu'ils font. Le
principal handicap est de générer de l'enjeu dans ces scènes
d'action, car après tout à la fin du premier Matrix, Néo
est clairement devenu indestructible, donc toute la problématique à
laquelle les Wachowski vont devoir répondre, c'est comment mettre de l'émotion
dans ces scènes d'action ? Et ils redoublent d'ingéniosité,
que ce soit en upgradant les agents, en multipliants Smith ou encore en isolant
Néo des combats. Tout ceci crée une tension qui fait que l'issue
des combats n'est pas forcément connue. Et avouez que si les Wachowski
n'avait pas exploité leur terrain de jeu à sa juste (dé)mesure,
on aurait été déçu. Mieux vaut trop que pas assez.
Surtout qu'à la seconde vision, on se rend compte que tout est très
bien dosé. Certains nous rétorqueront "Mais est-ce
qu'un film doit s'apprécier davantage à la seconde vision qu'à
la première ?". A chacun sa réponse
d'après
nous, il est clair qu'un film réussi est un film dont les multiples visions
révèlent toujours quelque chose de nouveau. Pour nous, c'est le
cas des films des Wachowski. PATIENTER
Puis il ne faut pas oublier non plus qu'il faudra juger Matrix comme une trilogie.
Ainsi après avoir vu Reloaded, le premier film voit son sens modifié,
éclairé différemment (tout n'est que manipulation). Il y
a fort à parier qu'après avoir vu Revolutions, Reloaded et Matrix
prendront une nouvelle dimension. * Il est à
noter aussi que la trilogie Matrix est construite comme celle de la première
"guerre des étoiles" : Un premier épisode pouvant se suffire
à lui-même en cas d'échec commercial. Puis une fois le carton
au box-office du premier épisode, mise en chantier d'un second volet plus
important qui sera divisé en deux films. Dans "L'empire contre attaque",
alors que Luke est de plus en plus puissant, on apprend sa filiation avec le mal
(c'est quand même le seul rebondissement du film, tout comme dans Matrix
Reloaded, lorsque l'on apprend que Néo n'est qu'un pion).
EXTRAPOLER Le
truc c'est que la conclusion de l'uvre Matrix aurait pu être cette
rencontre avec l'architecte, Néo doit faire un choix entre les deux portes,
fondu au noir, on entend une porte s'ouvrir et se refermer, générique
de fin. La frustration aurait été à son paroxysme, mais
quelle fin jouissive cela aurait été. Renvoyant ainsi le choix de
Néo au spectateur, à lui de choisir sa fin suivant ses goûts
et sa façon de voir les films et plus généralement la vie. Les
Wachowski auront probablement pensé à cette fin comme une fin possible,
puis ils auront trouvé mieux, beaucoup plus inattendu pour le troisième
et dernier volet.
On espère bien qu'ils n'opteront pas pour une
fin du style : les machines sont vaincues, une poignée de survivants demeure
à la surface de la terre, le soleil se lève à nouveau.
Il faut que la fin parte en live et qu'elle suscite autant d'interrogations sinon
plus que la fin de Reloaded.
CONSTRUIRE Voilà, telle
est notre opinion argumentée. Evidemment nous ne prétendons pas
avoir 'opinion sur rue' et détenir la vérité, mais en tout
cas cette vérité est notre vérité. Finalement, la
véritable question qu'il faut se poser sur un film comme Matrix Reloaded
ce n'est pas savoir pourquoi le film est mauvais ou bon, mais plutôt pourquoi
on trouve ce film mauvais ou bon. So
are you red or blue
on this ? |
TO
BE CONCLUDED... *Question:
Est-ce que Haman est l'ancien "The One" ? Ce qui expliquerait à
bien des égards la scène de discussion (ambiguë) qu'il a avec
Néo au sujet des machines et surtout de la relation homme/machine... |