La Propagation du Chaos
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Donald Westlake, grand maître du roman noir drolatique nous pond un bouquin noir charbon, désespéré, cynique, et pourtant incroyablement humain. Retour sur ce concentré de noirceur...

LE COUPERET
Donald E. Westlake

Edition de poche : Rivages/noir (2000)

Le Couperet - Donald Westlake

Il est de coutume chez de nombreux lecteurs de lire la première phrase des livres qu'ils tiennent en main, lorsqu'ils explorent les étalages de leur librairie préférée, en quête du prochain ouvrage à dévorer. "Achèterai, achèterai pas"... parfois cette première phrase constitue le déclic du passage à la caisse... Lorsque l'on jette un coup d'œil à la première page de 'Le Couperet' de Donald Westlake, il est alors impossible d'échapper à cette première ligne de texte, impossible de revenir en arrière, de reposer le livre et de passer à autre chose... cette première phrase capte toute l'attention du lecteur pour ne plus la lâcher jusqu'à la conclusion du livre :
"En fait je n'ai encore jamais tué personne, assassiné quelqu'un, supprimé un autre être humain."
Le ton est donné, Donald Westlake, visiblement en colère contre le capitalisme galopant de nos sociétés modernes nous conte la plus noire des transformations...

Burke Devore est un homme sans problèmes : un voisin idéal, cadre supérieur dans une usine de papier pendant vingt-cinq ans, père de deux enfants et mari aimant de sa femme Marjorie. Mais un jour, son entreprise se restructure, il se retrouve au chômage, envoyé à la casse comme un outil qu'on jette après usage.... Ayant dépassé la cinquantaine, plus vraiment compétitif face aux jeunes loups fraîchement sortis d'école et dans un climat de récession économique, Burke ne trouve aucun emploi en deux ans et l'argent se fait rare. Au hasard de ses lectures, il tombe un jour sur l'interview d'un cadre supérieur dans la papeterie qui occupe ce qui "pourrait être" son poste idéal... Si seulement cet indésirable pouvait mourir... et si seulement les futurs prétendants au poste alors libre l'étaient aussi... Seulement, ce n'est pas avec des "si" que l'on refait le monde... on change le monde lorsque l'on est à bout, acculé dans un coin, sans d'autres solutions que de tenter le tout pour le tout pour sauver sa peau.

"Aujourd'hui, notre code moral repose sur l'idée que la fin justifie les moyens. Il fut une époque où c'était considéré comme malhonnête, l'idée que la fin justifie les moyens. Mais cette époque est révolue. Non seulement nous y croyons, mais nous le disons. Nos chefs de gouvernement justifient toujours leurs actions en invoquant leurs buts. Et il n'est pas un seul P.D.G. qui ait commenté publiquement la vague de compressions de personnel qui balaie l'Amérique sans l'expliquer par une variation sur la même idée : la fin justifie les moyens".

Burke applique alors mot pour mot cette réflexion. Mon bonheur et ma vie retrouvés contre la mort de ces hommes : un choix froid, méthodique, rationnel... un choix inhumain. Là où d'autres auteurs se seraient sans doute casser les dents en contant le crescendo rébarbatif et répétitif d'une suite de meurtres, Westlake fait de 'Le Couperet', un roman fulgurant de par un traitement inhabituel.

En effet, Burke Devore n'est pas un monstre sans remords. Burke Devore, c'est vous, c'est moi, un être humain aux abois qui au pied du mur, tente le tout pour le tout et commet l'irréparable. Le récit alterne les chapitres où Burke agit comme un tueur froid et méthodique et d'autres où la machine humaine reprend ses droits et où Burke s'effondre devant ses actes : la scène fulgurante où Burke écrit sa confession et la conclusion que donne Westlake à la fin du chapitre donne froid dans le dos et souligne de façon particulièrement ironique l'incroyable dualité de l'être humain.

Véritable Docteur Jekyll & Mister Hyde, Burke accède peu à peu à la manière d'un personnage de Philip K Dick à une nouvelle réalité, à la vérité cachée que seul un homme ayant tué peut voir. Burke devient psychologiquement plus fort, plus à même d'affronter les difficultés de la vie, plus lucide devant les obstacles qui se dresse devant la réalisation de son plan (…de carrière) : "Ce qui ne te tue pas, te rend plus fort" disait Nietzsche, "Ceux que tu tues te rendent plus fort" semble murmurer en ricanant dans son coin Donald Westlake.

Le récit est haletant et les pages se tournent à 100 à l'heure. Westlake s'amuse à multiplier les obstacles qui mettent à l'épreuve le "nouveau" Burke qui s'interroge de plus en plus sur lui-même, sur le deuxième Burke, l'assassin qui prend le pas sur le père de famille aimant... Conscient de sa dualité, Burke s'attèle à se voiler la face du mieux qu'il peut : chaque nouvelle victime est introduite en début de chapitre par son CV comme pour lui donner moins d'humanité, d'ailleurs les victimes de Burke n'ont pas de nom, seulement des initiales. Burke ne tue pas un père de famille comme lui, il raye seulement un nom sur une liste et jette un nouveau CV concurrent dans la poubelle.

'Le Couperet' est un roman noir résolument pessimiste sur la nature humaine, très éloigné des romans traditionnels de Donald Westlake au contenu beaucoup plus léger. L'histoire contée est difficile et affecte le lecteur qui n'oubliera pas de sitôt le chemin de croix de Burke Devore, mais l'humour et le style de Westlake font alors des merveilles pour "alléger" la charge émotionnelle du récit et pour nous mener jusqu'à un final, disons-le tout simplement bluffant et jouissif.
Un chef d'œuvre du roman noir tout simplement.

Néo Bàkà Gaijin
12/12/02
WEB LIST
www.donaldwestlake.com
Le site officiel de Donald Westlake... avec une page d'accueil très représentative de l'univers de cet écrivain aux facettes multiples.

www.mauvaisgenres.com/donald_west...

Petit panagérique des écrits de Westlake par l'excellent site www.mauvaisgenre.com. Le point de passage obligé du non-initié pour choisir son premier Westlake...

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Donald E. Westlake
Donald E. Westlake en noir et blanc... mais sans cheveux...
'The Ax' - Donald Westlake
'The Ax' (1997), titre original de 'Le Couperet'

L'INCLASSABLE WESTLAKE

Donald E. WestlakeA travers plus de 70 romans et un nombre de pseudos presque aussi vertigineux, Westlake a tout écrit, sur tous les sujets, en abordant tous les genres.

Du récit sociologique ('Le Couperet'), Westlake passe par la Science Fiction ('Smoke') en passant par le roman noir plus traditionnel, proche de l'univers des frères Coen ('361', 'Moi mentir ?') avec une facilité déconcertante et une qualité d'écriture constante.

Un élément est néanmoins récurent dans tous ses écrits, c'est l'humour, véritable empreinte laissée par Westlake quelque soit le type de récit abordé : L'humour comme "moyen de faire naître l'émotion et la peur"... c'est lui qui le dit.


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