Un
Céline enragé qui dépouille les apparences et étale
au grand jour les profondeurs de l'âme humaine. Un livre qui ne quittera
plus votre esprit une fois la dernière page tournée... C'est Le
Démon de Hubert Selby Jr.
LE
DEMON Hubert Selby Jr.
Date de parution : 1976 Edition de poche : 10/18 (2001)
LE
MORT VIVANT HUBERT SELBY JUNIOR
"... La grande inspiratrice,
c'est la mort. Si vous ne mettez pas votre peau sur la table, vous n'avez rien...
Il faut payer... Je serai content quand je mourrai..." Céline
Nous
entendons au loin le hurlement colérique d'un nouveau né qui vient
d'échapper à la mort. Nous sommes en 1928, quelques mois avant la
grande dépression, un signe peut-être... Ce nouveau né, c'est
Hubert Selby Jr. 36 heures avant de naître, Hubert a commencé à
mourir, c'est devenu une habitude ensuite... Etranglé par le cordon ombilical
qui est censé lui donner la vie, il étouffe dans le ventre de sa
mère. Les médecins diagnostiquent une cyanose et des dommages cérébraux
provoqués par le manque d'oxygène dans le cerveau...
Cinq
livres plus tard, Hubert Selby Jr est considéré comme un génie
de la littérature dans sa capacité à dévoiler les
profondeurs de l'âme humaine. A l'exception de Le Saule, paru en
1999, les livres de Selby sont des descentes aux enfers sans concession qui explorent
une pathologie irréversible à l'issue inexorable. Selby ne donne
pas de solution et ne propose aucune porte de sortie... plus dure sera la chute.
A
16 ans, le jeune Hubert décide de s'engager dans la marine marchande. Trois
ans plus tard il en ressort avec la tuberculose. Quatre années passées
cloué à un lit d'hôpital, le jeune homme de quatre vingt cinq
kilos et d'un mètre quatre vingt disparaît pour laisser place à
un cadavre. Son corps détroussé d'un poumon et de dix côtes,
sa vue et son ouie diminuées à cause d'un remède expérimental,
ses muscles complètement atrophiés par un corps pétrifié
dans l'inactivité, Selby ira même jusqu'à contracter une hépatite
suite à une transfusion sanguine... Par quatre fois, les médecins
le condamnent à une mort certaine...
6 années
pour accoucher de son premier livre, 2 millions d'exemplaires vendus. Last
Exit to Brooklyn, paru en 1963 est un succès fulgurant qui marque dans
les tripes l'Amérique puritaine, un coup de marteau asséné
à l'American way of life par un homme qui a la rage de vivre et qui a des
comptes à régler avec l'homme, la femme, tout être humain
sur cette planète... et Dieu bien sûr, car c'est bien lui qui est
responsable de toute cette merde !
Hubert Selby Jr a maintenant 28 ans
et au cours d'une de ces journées noyé entre l'alcool, la drogue
et la dépression, il subit ce qu'il interprète aujourd'hui comme
"une expérience". Demain il sait qu'il va mourir, mais cette
fois-ci pas d'échappatoire, pas de tour de passe-passe, il va y passer
pour de bon. Juste avant de mourir, deux pensées lui traversent l'esprit.
La première, il va regretter éternellement sa vie. La seconde, il
désire revenir en arrière pour tout recommencer... et alors il meurt...
Terrifié par cette pensée, obnubilé par la conviction qu'il
a gâché sa vie et qu'il doit se rattraper avant de mourir, il sait
qu'il doit faire quelque chose... "Je connais l'alphabet. Peut-être
puis-je devenir écrivain". C'est ainsi qu'il se décide
à acheter une machine à écrire. Ne connaissant rien à
l'écriture, il accouche péniblement d'une première lettre
écrite en deux semaines pour un ami... tout peut alors commencer...
Après
le succès de Last Exit to Brooklyn, Hubert Selby Jr retourne à
son premier amour... l'échec! Ses trois romans suivants seront
des bides retentissants aux Etats-Unis (à peine quelques milliers d'exemplaires
vendus par ouvrage). Trop noir, trop dur, trop sordide - la presse américaine
ira jusqu'à utiliser le terme "sordidisme" pour illustrer
son oeuvre - Hubert Selby Jr devient un auteur maudit, détruit par la presse,
rayé des maisons d'éditions. Selby sombre alors pendant plus de
15 ans dans la misère, ne devant son salut qu'aux quelques dollars prodigués
par sa pension militaire d'invalidité... Le succès en 1999 de Le
Saule en Angleterre et en France, son retour sur le devant de la scène en 2000
grâce à l'adaptation cinématographique de son quatrième
livre Retour à Brooklyn - le formidable Requiem for a Dream
de Darren Aronofsky - lui permettent de faire une nouvelle fois son retour...
Aujourd'hui,
Hubert Selby Jr porte sur lui le visage de la mort. Un corps cadavérique,
presque inexistant, les yeux enfoncés dans leur orbite, un cadavre ambulant
qui semble n'être rattaché à la vie que par un fil mais dont
tous les livres portent en eux une incroyable pulsion de vie et paradoxalement
liée de façon intime à une pulsion de mort autodestructrice...
Contre vents et marées, Hubert Selby Jr est un survivant... Il faut mourir
pour appréhender la vie.
LE DEMON - HUBERT SELBY JR
Ses
amis l'appelaient Harry. Mais Harry n'enculait pas n'importe qui. Uniquement des
femmes... Des femmes mariées. Avec elles, on avait moins d'emmerdements.
Quand elles étaient avec Harry, elles savaient à quoi s'en tenir.
Pas question d'aller dîner ou prendre un verre. Pas question de baratin.
Si c'est ce qu'elles attendaient, elles se foutaient dedans ; si elles commençaient
à lui poser des questions sur sa vie, ou à faire des allusions à
une liaison possible, il se barrait vite fait. Harry refusait toute attache, toute
entrave, tout embêtement. Ce qu'il voulait, c'était baiser quand
il avait envie de baiser, et se tirer ensuite, avec un sourire et un geste d'adieu
Une
première phrase qui claque comme un fouet, un second paragraphe qui annonce
la couleur sans fioritures, bienvenu dans l'oeuvre la plus puissante de Hubert
Selby Jr, Le Démon, publié en 1976.
Harry White a
une petite vie bien réglée et cela lui convient. Il vit chez ses
parents pour des raisons pratiques, il a un bon boulot, il est beau gosse et il
ne se gêne pas pour baiser la femme d'un autre... "Qui sait combien
de femmes sont encore en vie et heureuses parce que Harry White, poursuivant sa
vocation sans relâche, leur a épargné la folie ou la mort
en crevant l'abcès de leurs anxiétés, de leurs angoisses,
de leurs frustrations". Seulement Harry sent que quelque chose bouillonne
en lui... rien de bien grave... juste une pincée d'excitation qui prend
un peu trop part à ses agissements de tous les jours, excitation qu'il
a l'habitude d'apaiser par une visite chez une femme mariée... Peu à
peu Harry réalise le rêve américain et entre de plein pied
dans le carcan d'une vie régie par l'argent, le bonheur, le succès...
mais quelque chose en lui désire plus que cela. Son démon ne veut
pas de cette vie là...
La lecture de Le Démon, troisième
chef d'oeuvre de Hubert Selby Jr est particulièrement déconcertante.
On nage dans un récit qui pourrait presque s'apparenter au genre fantastique
dès que Selby commence à aborder le coeur de son histoire. Passé
une introduction qui en dit beaucoup plus sur le personnage de Harry que ce qu'elle
laisse paraître à la première lecture, Selby ne cesse de souligner
la présence d'un autre Harry, quelqu'un qui sommeille, qui s'impatiente
et qui attend que l'autre se relâche pour prendre sa place... on frise parfois
les lieux communs des récits sur les personnalités multiples et
l'imagerie fantastique du personnage possédé par un démon
est plus que présente. Pourtant cette suggestion fantastique se heurte
au style naturaliste, à la verve populiste de Selby... Nous sommes bien
ancrés dans la réalité dans ce qu'elle de plus sordide, de
plus banale, de plus vulgaire... Selby va encore une fois s'évertuer à
illustrer la gangrène sociale, la violence, la folie et à vider
son personnage principal de ses tripes pour montrer aux yeux de tous qui il est
vraiment. NOUS sommes le démon ! Tel l'arracheur du voile d'une Amérique
puritaine, Selby détruit les apparences d'un père de famille comblé
par la vie pour montrer le monstre qui se cache dans l'ombre.
Le lecteur
"innocent" qui posera pour la première fois les yeux sur un texte
de Selby engagera immédiatement une relation de répulsion / attirance
à l'égard des pages lues... Une écriture immédiate,
spontanée qui passe allégrement de la 3ème à la 1ère
personne... Selby vulgarise, il a ce don inné de retranscrire le réel
par des dialogues tout droit sortis de la rue, du bistrot... Hubert Selby Jr ne
crée pas des être littéraires, il peuple son monde d'êtres
humains extirpés du réel, on est alors proche de l'expérience
sensorielle, on a presque l'impression d'entendre, plus qu'on ne lit... Il inscrit
sur ces pages un univers désacralisé, réduit à sa
plus simple expression, déchiqueté de toute magie... une réalité
banale, pathétique, tristement commune et peuplée par des ignorants
sans âme, On ressort de ses livres dégoûté, lessivé
du monde... selon Selby "La vie est une salope, mais c'est la seule qu'on
ait..."
D'ailleurs, le Harry de Le Démon n'est qu'une
des quatre faces d'un personnage complet jeté en pâture aux yeux
du lecteur par un écrivain qui semble y trouvé un exutoire, un apaisement
certain. Avant Le Démon, Il y a d'abord le Harry, crétin
haineux de Last Exit To Brooklyn, le Harry fantasque qui fantasme de La
Geôle. Il y a ensuite le Harry cramé par la drogue de Retour
à Brooklyn... seul au début, seul à la fin, les Harry
de Hubert Selby Jr sont des solitaires qui vivent dans un monde où l'amour
est absent, l'amour n'existe tout simplement pas.
Dans Le Démon,
ce troisième Harry se débat contre une obsession mentale qu'il ne
comprend pas et qu'il ne veut surtout pas comprendre. Le "héros"
de Selby est dépendant, aliéné, subissant les assauts virulents
de pulsions autodestructrices. Paradoxalement, la douleur d'Harry ne vient pas
de sa résistance à ces pulsions, mais plutôt de son refus
d'accepter ces pulsions comme faisant parti de lui. Harry en niant son démon
se renie lui-même. Il refuse d'assumer qui il est vraiment et préfère
oublier cette réalité en se jetant corps et âme dans son travail,
dans sa vie de famille... dans une vie fade et sans surprises qui lui a été
imposée. Et c'est finalement là que le livre de Selby est impitoyable
et particulièrement vicieux, car malgré toutes les actions abjectes
et immorales réalisées par celui-ci, le Harry "Démon"
est bien plus vivant que le personnage que nous rencontrons au début du
roman...
Le Démon de Hubert Selby Jr est une oeuvre puissante
et dérangeante qui marquera votre esprit au fer rouge pour mieux se rappeler
à votre souvenir lorsque vous serez un jour en proie à vos propres
démons...
"J'ai
fini par comprendre qu'il fallait arrêter de résister au démon,
juste le regarder en face. C'est la résistance qui m'a tué. Ça
m'a amusé, après avoir vu mon existence dévorée par
la violence, d'apprendre que le premier sens latin de ce mot est "force de
vie"" Hubert Selby Jr
http://aubry.free.fr/selby1.htm
Une page très bien documentée sur Hubert Selby Jr. Biographie, bibliographie
détaillée, articles de presse, critiques de ses livres... rien ne
manque. A découvrir pour aller plus loin.
www.requiemforadream.com
Le superbe site du long métrage Requiem for a dream, un hommahe
vibrant à l'oeuvre de Hubert Selby Jr.