DAVID
BOWIE : LA TRILOGIE BERLINOISE Oeuvre
séminale s'il en est, le tryptique Low Heroes Lodger de David Bowie est
encore de nos jours une référence incontournable. C'était pourtant à l'époque
une sacrée remise en question et une prise de risque assez inédite de la part
d'un artiste pop d'envergure internationale.
Fin
des années 70, posons le décor : La disco fait rayonner ses boules à facettes
sur la terre entière, la musique électronique venue d'Allemagne fait résonner
haut et fort ses bleeps, le rock progressif commence à piquer du nez et le punk
pointe le sien, de nez. En grand synthétiseur d'époque qu'il est, Bowie se situera
au carrefour de tous ces courants pour créer une oeuvre totalement novatrice.
A la même époque, d'autres musiciens en feront de même : Les Talking Heads, Devo,
Peter Gabriel... Mais quel est donc le point commun entre tous ces artistes? Brian
Eno bien sûr! Véritable laborantin du son, l'ex-membre de Roxy Music tire profit
de ses années d'expérimentation personnelle pour mieux permettre à ses collaborateurs
d'accoucher d'une pop résolument moderne. Après avoir touché au glam rock, au
folk psychédélique, au hard rock, au free-jazz, à la soul, Bowie n'est plus à
une métamorphose près. Fort du succès de Young Americans aux USA, il va
pourtant opérer un revirement de style des plus anti-commerciaux...
LOW(14/01/1977)
Si
de nos jours, il est plutôt courant qu'on mélange rock et électronique, ce n'était
pas le cas en 1977. Et cette année là, un album allait faire l'effet d'une petite
bombe dans l'industrie musicale, il s'agissait du nouveau Bowie. D'ailleurs
les responsables de RCA en recevant les bandes ont d'abord cru à une plaisanterie
de la part du Thin White Duke : une moitié instrumentale et l'autre composée de
chansons étranges explosant toutes les structures classiques de composition. Après
sa période Soul aux USA, Bowie tente à tout prix d'échapper aux lignes de coke
et à ses lubies de rock-star (il commence à développer une certaine fascination
pour Hitler), et c'est par l'expérimentation qu'il y arrivera. Il retourne en
Europe, à l'époque berceau de toutes les innovations (Can,
Neu!, Kraftwerk...), et s'entoure de l'alchimiste du son Brian Eno, de son fidèle
producteur Tony Visconti et de sa rythmique black (Carlos Alomar, Dennis Davis
et George Murray) au château d'Herouville. Aidé des stratégies obliques d'Eno
(des directives sont données aléatoirement aux musiciens à l'aide de jeux de cartes),
il érige une pop urbaine et pluraliste, fusionnant
la froideur du krautrock et la chaleur du funk, une musique à
l'image du film dont la pochette est tirée (L'homme qui venait d'ailleurs)
: extra-terrestre,
et qui posera les bases pour toute une nouvelle
vague d'artistes (vous avez dit "new wave"?). Extrait
de Always Crashing In The Same Car(762 ko / MP3)
"HEROES"(14/10/1977)
Enregistré au studio
Hansa-by-the-wall, Heroes est le seul album de la trilogie à avoir vraiment
été imprégné de l'ambiance sombre et étouffante de Berlin, la cité où la star
a pu redevenir un inconnu, dans un hôtel miteux d'un quartier turc. L'équipe de
Low est ici rejointe par Robert Fripp, guitariste et leader de King Crimson,
qui apporte ses riffs tonitruants et alambiqués, et autres "frippertronics".
Tout comme son prédécesseur, Heroes est scindé en deux parties. Les chansons
s'orientent maintenant vers une sorte de disco métallique, aux dissonances froides
et caverneuses. La voix de Bowie n'a jamais été aussi menaçante et criarde (il
chantera rarement aussi "bien" par la suite...). Quant aux plages instrumentales,
elles donnent tout simplement froid dans le dos par leur atmosphère post-apocalyptique
éthérée et glaciale (elles feraient merveille comme bande originale d'un Romero...).
Bref, Let's Dance est encore loin! La sauvagerie mutante de l'objet lui
vaudra en outre le respect de la génération punk naissante, qui crache pourtant
sur toutes les idoles en place. Il faut dire qu'il vient de produire les deux
derniers Iggy Pop, le parrain du mouvement punk... Extrait
de Black Out (603 ko / MP3)
LODGER(18/05/1979)
Après le déluge dépressif
de Heroes, Bowie revient à des choses plus légères et ludiques. Il abandonne
les longues plages electro-ambiant et revient exclusivement aux chansons. Maintenant
devenu locataire (lodger) du monde, il vient clôturer son "tryptique"
sur une touche aux aspirations plus world music. Voguant allégrement entre reggae
(Yassassin) et litanies africanisantes (African Night Flight et
son débit ahurissant), entres mélodies orientales (Red Sails) et l'omniprésente
disco (DJ), Bowie nous offre un tour du monde déjanté et barré. On a même
du mal à croire qu'il ne touche plus du tout à la drogue devant le décollage en
vrille de certains moments! Et les solos de Adrian Belew (Guitariste pour Zappa
et King Crimson) ajoutent encore une dose de plus à la folie générale. Etrangement,
bien que moins électronique, c'est l'album où la collaboration d'Eno est la plus
importante (il co-écrit la plupart des titres). Des trois disques, Lodger
est un peu l'enfant turbulent, le déconneur de la bande, moins ambitieux que les
deux autres mais complètement décomplexé et jouissif, il clôt à merveille ce qu'on
appelle la "trilogie berlinoise". Extrait
de Boys Keep Swinging(705 ko / MP3)
Comme
on ne pouvait quitter si vite une période aussi faste musicalement, voici trois
albums de la même période, ayant des rapports
plus ou moins directs avec la trilogie de Bowie. En bref : si vous avez aimé la
trilogie berlinoise, vous aimerez aussi ces disques...
TALKING
HEADS : FEAR OF MUSIC(1979)
Les Talking Heads aussi ont eu leur trilogie
produite par Brian Eno, et qui suit bizarrement la même évolution. Après un More
Songs About Buildings And Food très pop et avant un Remain In Light très
world, Fear of Music se situe au milieu comme Heroes, et comme celui-ci
c'est le plus sombre des trois. Leur "no wave" mutante est soudain prise
d'une hystérie froide et robotique et David Byrne déclame des paroles plus que
jamais emplies d'un humour glacial (écouter l'hilarant Animals). Que ce
soit funk décadent (Cities, Paper...) ou déconstruction electro-pop (Memories
Can't Wait, Air...), tout ici n'est que folie pure faite musique!
DEVO
: ARE WE NOT MEN?(1978)
Encore
un album produit par Eno (le malheureux ne devait pas dormir beaucoup à cette
époque!). Pourtant à l'écoute des premières démos du groupe (Hardcore vol.1
et 2), on se rend compte que le producteur n'a absolument rien apporté à leur
son : les synthés débridés et les guitares punk-rock s'entrechoquant sur des rythmes
alambiqués, tout ce qui fait de Devo le pendant pop idéal des Residents, tout
était déjà là. Le son est juste ici plus
travaillé et prend plus d'ampleur. Et ce premier album, avec son pesant en cacahuètes
de classiques (Jocko Homo, Mongoloid, la reprise de Satisfaction...),
est considéré par beaucoup comme leur meilleur, même si les albums synthétiques
qui suivent seront très intéressants également...
SPARKS
: THE NUMBER ONE SONG IN HEAVEN(1979)
Deux
californiens exilés en Angleterre car trop étranges pour leur pays d'origine,
à la base, ça ne peut donner que de bonnes choses. Nous ayant auparavant habitué
à un glam-opéra-rock déjanté, les Sparks décident maintenant de conquérir les
pistes de danse en s'acoquinant avec le fameux producteur italien Giorgio Moroder,
un des papes de la disco à l'époque (avec Cerrone) qui a travaillé entres autres
avec Donna Summer. Evidemment, comme les frères Mael ne font jamais vraiment les
choses comme les autres, leur disco n'a bien sûr pas grand chose de catholique
et c'est tant mieux!