Hallucinant,
mordant, sarcastique, déluré, lyrique, débile, émouvant,
ridicule, risible... le petit Robert (et même le gros...) ne serait pas
suffisant pour illustrer l'univers gargantuesque de 'Futurama'. Malheureusement
Futurama souffre du syndrome de "la deuxième série du créateur
des Simpsons", syndrome facilitant chez le grand public un jugement à
l'emporte pièce (oui, votre serviteur est également passé
par-là...) : 'Futurama' est une redite de 'Les Simpsons', un 'Les Simpsons
en l'an 3000' en somme qui révèlerait la paresse et / ou l'éradication
de l'inspiration du pourtant bouillonnant Matt Groening ? La comparaison est
en effet tentante... Bender est Homer, Fry est Bart, Leela est Marge... et pourtant
qu'il est réducteur de porter ce jugement sur 'Futurama' tant cette série
dépasse son grand frère (pourtant déjà excellentissime
!) Mais
avant tout, quelques mots sur Matt Groening, le grand Matt Groening, L'homme qui
aime que les chaussures de ses personnages crissent sur le parquet pour donner
ce petit bruitage hilarant, incroyable personnage, animateur résolument
indépendant (son humour résolument sarcastique, limite réac)
et pourtant bénéficiant de moyens faramineux pour diriger ses shows
animés... Né un 15 février 1954 à Portland, mauvais
élève, mauvais en calcul mental et trouble-fête de la récré
(Bart a bien existé !), Matt Groening a commencé à s'illustrer
avec la bande dessinée 'Life In Hell' au contenu hautement subversif (et
dont le ton si particulier de 'Futurama' doit beaucoup) où "les vieux
sont tellement ridés, qu'on peut leur viser un bouchon sur la tête"...
Incroyable, mais vrai, cette série, malgré son univers chtarbé
est un succès auprès du grand public... Matt Groening est approché
par James L Brooks... c'est le début de 'Les Simpsons' ... la suite de
l'histoire, personne ne la connaît, mais tout le monde fait comme si...
Matt Groening réinvente la série animée au format long (26
minutes) tout simplement ! Ses "Simple Person" vont faire le tour du
monde : visible dans 70 pays, à travers 13 saisons (et ça continue),
'Les Simpsons' représente la série ayant la plus grande longévité
dans le monde de la télévision (Facile ! et maintenant sans les
mains !)... En
1991, un certain David Cohen intègre l'équipe de scénaristes
de 'Les Simpsons'... on le retrouve en 1999 en tant que producteur exécutif
(et scénariste...) de 'Futurama' sous le nom de David X Cohen (Selon lui,
l'ajout du "X" donne un cachet supplémentaire à son nom,
ceci permettant de ne pas l'oublier), série narrant les aventures de Fry,
loser devant l'éternel, cryogénisé par erreur et se retrouvant
en l'an 3000, où l'on trouve des robots SDF, où l'on paye pour se
suicider dans des cabines à suicide, où le Français est une
langue morte, où l'on trouve des distributeurs automatiques de Crack et
où du caca d'un gros vers immonde donne une boisson populaire, le Slurm
(vous avez dit Coca-Cola ?), un monde déluré, irréel et surtout
futuriste permettant à Matt Groening de se lâcher comme jamais. Car
en effet, là où 'Les Simpsons' de par son statut de série
familiale, doit souvent recourir à une fin morale, le monde futuriste et
irréel de 'Futurama' permet de dépasser toutes les bornes : Par
exemple le personnage de Bender peut dire ou faire ce qu'il veut puisque c'est
un robot ! En Bender, Matt Groening a trouvé le filtre anti-censure par
excellence ! Il n'est pas humain, il peut donc être un personnage sans morale
! De la même façon, la critique sociale (déjà très
présente dans 'Les Simpsons') trouve dans 'Futurama' toute sa plénitude
du fait que l'an 3000, décrit (ou décrié ?) dans la série
n'est que le monde d'aujourd'hui redécoré et habillé de gadgets
futuristes, une fausse anticipation qui pointe du doigt les travers de la société
américaine actuelle. Du grand Art tout simplement, et tout ça sur
la Fox en prime time ! Même Kubrick en serait jaloux ! Ensuite,
comme pour 'Les Simpsons' c'est l'utilisation de la culture populaire qui fait
que le public adopte instantanément la série. Adolescents de plus
de 40 ans devant l'éternel, Matt Groening et David X Cohen ont créee
la caverne d'Ali Baba pour le Nerd
qui sommeille en chacun de nous. Un univers référentiel énorme
allant de la science fiction populaire (les livres de K Dick, Asimov), aux classiques
du cinéma (La planète des singes, Soleil Vert) en passant par les
jeux vidéo (Donkey Kong, Tron, Dungeon Master), et les vieilles séries
TV (Star Trek, La 4ème dimension), tout en puisant dans l'histoire et la
culture américaine... 'Futurama'
se démarque également par une réalisation incroyable... mélange
d'animation 2D et d'infographie 3D, chaque scène est un régal pour
les yeux, les animateurs s'amusant à pousser toujours plus loin la complexité
des plans... D'ou l'équation magique Futuramesque : Critique social
+ univers référenciel + réalisation soignée... il
ne manque plus qu'un élément : L'imagination... et dans 'Futurama',
elle est débordante, presque palpable... 'Futurama'
redore le blason de l'humour absurde des ZAZ, diminutif de Zucker, Abraham, Zucker,
les responsables des 'Y a t-il un pilotes...', 'Y-a t-il un Flics' et surtout
de l'inestimable et injustement méconnu 'Top Secret' où 1 plan =
1 gag. Seulement, la magie de l'animation permet de surmultiplier cette règle
(1 plan = 10 gags) Comme 'Les Simpsons' l'avait préfiguré, 'Futurama'
est une série à regarder en "arrêt sur image" tant
chaque détail revêt son importance : Les messages publicitaires en
langage extraterrestre, à traduire grâce à un alphabet disponible
sur internet, les mimiques des personnages secondaires... comme au théâtre,
tous les personnages présents dans le plan ont une importance et une raison
d'être animé (faire rire!). Matt Groening le dit lui-même :
"Dessiner, c'est comme construire une pyramide, et dans un sens c'est
se prendre pour Dieu : donner vie à ces êtres vivants juste avec
une plume et de l'encre, en pouvant renchérir leur folie à notre
gré, tout en les punissant...". A l'image de l'immense travelling
en accéléré surplombant la population de Springfield qui
clôt le générique de 'Les Simpsons', l'univers de 'Futurama'
est tellement riche et dense que certains gags et références font
leur apparition à la troisième ou quatrième vision (un serveur
robot avec des diodes sur le visage pour simuler des boutons d'acné, un
slogan politique apparaissant l'espace de 2 images...) pour mieux terrasser de
bonheur le spectateur opiniâtre ! (oui, moi par exemple...) A cela s'ajoute
en sus, un humour très noir, très sarcastique où chaque épisode
est une tentative de repousser les règles du bon goût (le nudisme
des personnages plus que présent dans la saison 2, l'évolution pathétique
du Professeur Zoidberg, la multiplication des blagues sous la ceinture... sans
jamais sombrer dans le vulgaire à la 'Southpark')... 'Futurama' ose tout...
comme si Matt Groening conscient de son statut de "Simpsons Star" intouchable
et du succès inaltérable de sa série faisait la nique à
la Fox en proposant avec 'Futurama' une série normalement indiffusable
sur un horaire prime time
La sortie
de Futurama en DVD (la saison 2 est sortie depuis quelques jours) permet de mieux
comprendre la réussite de l'entreprise et de complètement succomber
à l'univers de Matt Groening. Chaque épisode peut être visualisé
avec son commentaire audio, véritable mine d'or d'informations où
les remarques et les rires des 6 à 7 intervenants fusent à chaque
seconde. Toutes les pièces maîtresses de l'entreprise 'Futurama'
sont représentées : Matt Groening, David X Cohen, le scénariste
et le réalisateur de l'épisode, les animateurs, sans oublier les
doubleurs... John Di Maggio (Bender et pour l'anecdote, Wakka et Kimahri dans
Final Fantasy 10 sur PS2), et Billy West (Fry, Zapp Brannigan
). Surprise
! Les interventions de Matt Groening se font rares (au grand dam de votre serviteur),
comme s'il voulait mettre sur le devant de la scène les autres et montrer
que ce qui fait le succès de 'Futurama' et des Simpsons, c'est l'unité,
la cohésion d'une équipe derrière un projet qui conserve
son intégrité artistique au fil des années. Chaque commentaire
audio est un épisode dans l'épisode, un pur moment de bonheur, où
l'on hallucine d'imaginer que les "adultes" commentant l'épisode
pourraient être nos parents... et qui pourtant s'esclaffent devant un personnage
bardé d'un t-shirt de "Dungeon Master", ou d'une séance
d'exhibitionnisme du professeur Farnsworth, comme si le sens de l'humour était
le meilleur remède contre le vieillissement... Malheureusement,
ce rêve artistique s'arrête prématurément avec la saison
4... la Fox ayant décidé de stopper son investissement sur la série
la jugeant trop controversée (Bande de cons !), la 5ème saison,
bientôt diffusée aux Etats-Unis sera une compilation des épisodes
jamais diffusés. Face à cela, on peut se consoler en voyant l'action
forcenée des internautes activistes pro-Futurama et en se disant que ce
n'est pas ça qui arrêtera Matt Groening et sa bande... le monsieur
travaillant déjà sur de nouveaux projets, qui nous le savons déjà
nous trouerons les joues de rire ! Futurama est mort, Vive Futurama et
gloire à Matt Groening ! |