Après
un premier long métrage autobiographique (Va
mourire en 1994) et un exercice de style particulièrement
exigeant (Le plaisir et ses petits tracas en
1997), Nicolas Boukhrief se décide enfin à
aborder le cinéma qu'il a défendu corps
et âme pendant des années : le cinéma
de genre !
Membre fondateur (avec son pote Christophe Gans) de
feu la revue Starfix, véritable bible
du cinéma alternatif et bouffée d'oxygène
pour les adorateurs du cinéma de genre coincés
à l'époque entre Les cahiers du cinéma
et Première, Boukhrief et sa bande ont
fait découvrir à toute une tripotée
d'adolescents boutonneux férus de cinéma
(votre serviteur en faisait partie...), des réalisateurs
méconnus comme John Mc Tiernan ou Paul Verhoeven,
à l'époque totalement ignorés par
la critique "classique"...
C'est donc avec une certaine hâte, mêlée
d'une certaine appréhension que l'on attendait
de voir ce grand défenseur du cinéma de
genre, ce grand "fan" devant l'éternel,
mettre enfin les mains à la pâte.
Alexandre Demarre se présente un matin au
centre-fort de Vigilante pour entamer sa première
journée de travail. Vigilante est une société
de transport de fond qui vient de subir successivement
trois braquages particulièrement violents. C'est
dans un climat de suspicion particulièrement
présent que Alexandre Demarre (chômeur,
braqueur ou taupe ?) va intégrer l'univers de
ces éboueurs de l'argent...
"1.000
euros par mois, 1.000.000 d'euros dans chaque sac"...
Il est devenu extrêmement rare que l'accroche
d'un film serve réellement son propos et ne se
limite pas à un simple attrape couillon. C'est
pourtant le cas avec Le convoyeur, car la première
qualité du troisième long métrage
de Nicolas Boukhrief est de s'intéresser à
une profession encore jamais approchée sur grand
écran : les convoyeurs de fond... ces éboueurs
de l'argent comme il les appelle, ces"presque flics"
(ils ont un flingue mais aucune formation) qui transportent
dans leurs sacs des millions alors qu'ils gagnent une
misère et qu'ils sont la cible d'attaques particulièrement
violentes voire mortelles.
Cette
première qualité en amène forcément
une autre... le réalisme saisissant des situations
et une tension permanente à couper au couteau.
Quoi de mieux au niveau dramaturgique que de livrer
des gens normaux à des situations qui peuvent
virer à l'extraordinaire. La routine des convoyeurs
de fond joue ici un rôle primordial... elle endort
pour mieux surprendre... car on ne sait jamais vraiment
ce qui peut arriver... des mois et des mois à
livrer ces sacs à fric en traversant les même
routes dans une routine exaspérante jusqu'au
jour où une voiture débouche de nul part,
un groupe armé cagoulé s'élance
vers le van, équipé de lances-roquette
et de fusils à pompes...
En
cherchant à aborder différemment le film
de genre et surtout en essayant de s'échapper
des poncifs que sont devenus les personnages de flic,
usés et abusés par la lucarne de la télévision,
Nicolas Boukhrief aborde des personnages inédits,
mais exploite surtout un environnement totalement vierge,
méconnu du grand public. Car on sent que l'auteur
du scénario de Assassin(s) de Mathieu
Kassovitz a encore des choses à dire et que le
seul cinéma de genre, déraciné
de son contexte social ne l'intéresse pas. Il
en ressort un mariage un peu contre nature et pourtant
savamment consommé, celui du film social et du
film d'action. L'action et le suspense se voient bousculer
par le regard auscultatoire du docu-drama criant de
vérité. De cette équation complexe
ressort la qualité principale du film de Boukhrief
: l'authenticité ! Le convoyeur est un film sec
comme un coup de trique, sans concessions ni fioritures,
un film noir charbon avec des personnages désabusés
tout droit sortis d'un livre de James Elroy.
La
scène d'introduction apparaît alors comme
un modèle de note d'intention. Un convoi est
rondement mené à travers une route de
campagne par trois types entre deux âges, passablement
beaufs, dissertant sur l'importance toute relative de
la mort des membres des Beatles... Ce sont des convoyeurs
de fond.
Au loin, une voiture s'approche et son image grossit
dans le rétroviseur... elle tente de doubler
en klaxonnant de plus en plus frénétiquement...
la tension monte. Les convoyeurs pensent avoir affaire
à un simple chauffard puis la méfiance
de l'un deux alerte les deux autres... peut-être
faudrait-il relever le numéro d'immatriculation.
L'appel radio n'a pas le temps d'être passé,
une immense explosion dévore l'écran et
le titre Le Convoyeur apparaît en lettres de feu.
Comme pour la littérature où la première
page sert à marquer sa patte, la première
scène d'un film est souvent marquée d'une
forte intention de départ par le réalisateur,
c'est la signature qu'il donne d'emblée à
son film et qu'il va tenter de préserver pendant
les 2 heures approximatives du métrage. Avec
cette scène, Boukhrief prévient immédiatement
son audience :
- La tension va habiter tout le film... le risque peut
apparaître à n'importe quel moment...
- Nous ne sommes pas dans un film de tchatche... la
tchatche tue dans ce film.
- Authenticité... pas de super héros,
juste des hommes fatigués et déchus en
proie à des attaques qui peuvent surgir à
tout instant.
A
ce contexte bien planté et cette intention de
départ sans équivoque s'ajoute un scénario
particulièrement malin - même si l'histoire
est assez simple finalement - qui va balader le spectateur
pendant une bonne heure avec cet Alexandre Demarre,
personnage fascinant qui sert de porte d'entrée
dans l'univers des convoyeurs, mais dont on ne connaît
finalement rien... Qui est-il, quelles sont ces motivations...
et pourquoi semble t-il complètement bouleversé
lorsque l'alarme de sa montre se déclenche ?
Tout cela restera flou jusqu'à l'énorme
séquence en flash-back, montée comme une
énorme mécanique Hitchcockienne, le spectateur
étant en avance sur le personnage de Dupontel,
sachant qu'il va se passer quelques chose de terrible
qui va constituer le point de rupture du film... mais
n'en sachant pas assez pour savoir comment cela va se
passer...
Tout s'éclaire tout d'un coup, et le film va
alors laisser place à une fuite en avant, à
un cheminement en ligne droite qui va forcément
se terminer de manière dramatique...
Mais
tout cela ne serait rien sans la force principale du
film qui magnifie tous ses éléments de
base et là de souligner la justesse et l'efficacité
du casting, avec en tête l'immense, que dis-je
le magistral Albert Dupontel, véritable gueule
de drame, clown triste au regard noir qui vous bouffe
l'âme. Dupontel apparaît comme un acteur
extraordinaire complètement sous-exploité
par la profession qui le rejette en bloc (voir sa galère
personnelle pour monter depuis trois ans son troisième
film, Enfermés dehors). Après Irréversible,
Dupontel marque une nouvelle fois la pellicule de sa
présence si particulière et définitivement
hors norme, focalisant toute l'attention sur ces yeux
noirs charbons inquisiteurs jusqu'à ce magnifique
plan où le spectateur regarde Alexandre Demarre
qui se regarde dans le miroir alors qu'il semble nous
regarder... troublant. A ses côtés, on
retrouve son alter ego féminin, Claude Perron
et un casting de sales gueules absolument parfait. On
est pas loin du western à certains moments, pas
loin non plus du Bronson jouant de l'harmonica dans
Il était une fois dans l'Ouest, remplacé
ici par un Dupontel qui pleure au son de l'alarme de
sa montre digitale.
La
réalisation du film est à l'image de son
propos et oscille entre ses deux axes extrêmes.
A la limite du documentaire lors de la première
partie du film qui décrit le quotidien sordide
des convoyeurs de fond, la caméra étant
littéralement rivée sur les personnages...
la réalisation devient sophistiquée sans
jamais perdre de son authenticité lorsque le
cinéma de genre pointe son nez. Et ceci jusqu'à
la la scène finale qui transperce littéralement
le spectateur entre rêve et réalité,
bercée par une musique hypnotique. Toute la tension
accumulée explose soudainement pour aboutir à
l'expiation douloureuse de son héros, définitivement
pas comme les autres.
Au
final, on reste bouche bée devant cet ovni si
riche et pourtant si brutal et sec dans sa forme...
un vrai film de genre, abordé sous un oeil authentique...
jusqu'à ce générique de fin définitivement
attachant où les personnages d'outre tombe réapparaissent
une dernière fois... un générique
de fin qui singe celui du Predator de John Mc
Tiernan... un joli au revoir en forme de pied de nez...
Putain, ça fait du bien !
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